Cours 7 : Notions de radiosensibilité, radiosusceptibilité et radiodégénérescence

Aujourd’hui, le terme radiosensibilité est l’un des plus cités en radiobiologie. Toutefois, à chaque fois qu’on utilise, une signification différente apparaisse. Ainsi, quand on parle de radiosensibilité de la peau, on parle généralement de dermites. Mais quand on parle de radiosensibilité du sein, c’est le cancer radioinduit du sein dont on veut parler. Enfin, quand on parle de la radiosensibilité de l’œil, c’est aux cataractes que l’on pense. Or, biologiquement, des dermites, un cancer du sein ou une cataracte sont des notions très différentes. A travers ce paragraphe, comment peut-on définir simplement le terme de radiosensibilité et quelles sont les conséquences cliniques majeures d’une irradiation ?

Une analyse syntaxique fine, menée dans notre laboratoire suggère plusieurs périodes dans l’utilisation et le sens du terme « radiosensibilité » (1). En effet, depuis la découverte des rayons X jusqu’en 1929-30, date du premier congrès international de radiologie, le terme « radiosensibilité » désignait plutôt la survenue des réactions tissulaires après irradiation. Après 1924, date du premier Congrès de Radiologie, une confusion apparait entre l’acception historique et le risque de cancer radioinduit, probablement liée à l’usage du terme anglophone « radiosensitivity ». D’ailleurs, cette confusion existe toujours puisque les phrases citées dans les documents de la Commission Internationale de Radioprotection (CIPR) comme « Les enfants sont plus radiosensibles que les adultes » ou « le sein est l’organe le plus radiosensible » où la signification de la radiosensibilité est plutôt relative au risque de cancer radioinduit qu’à la survenue de réactions tissulaires (1). Une telle confusion pose le problème de la compréhension du lien possible entre radiosensibilité et prédisposition au cancer. Ce lien est complexe : les syndromes caractérisés par une grande radiosensibilité, comme l’ataxie télangiectasie, sont associés à de fortes prédispositions au cancer. Par contre, certains syndromes, comme le syndrome de Li-Fraumeni, causé par des mutations hétérozygotes de p53, sont également associés à une forte prédisposition au cancer mais sans qu’il y ait de radiosensibilité tissulaire significative (1): dans ce cas précis, on n’interdira donc pas la radiothérapie mais on limitera le champ d’irradiation pour atteindre le moins de tissus sains possibles.

Afin de mettre fin à la confusion entre les différentes acceptions du terme « radiosensibilité » (risque de réactions tissulaires radioinduites ou risque de cancers radioinduits ou phénomènes de vieillissement radioinduit), nous avons été à l’initiative des définitions suivantes  (2):   

  •  « radiosensibilité » : capacité ou prédisposition à montrer des réactions tissulaires après irradiation ou toutes conséquences cliniques d’une irradiation liées directement à la mort cellulaire et notamment à des cassures de l’ADN non-réparées;
  • « radiosusceptibilité » capacité ou prédisposition à montrer des cancers radioinduits, ou toutes conséquences cliniques d’une irradiation liées directement à la transformation cellulaire et notamment à des cassures de l’ADN mal-réparées;
  • « radiodégénérescence » capacité ou prédisposition à montrer une maladie dégénérative ou toutes conséquences cliniques d’une irradiation liées directement à un vieillissement cellulaire (senescence) accéléré et notamment à des cassures de l’ADN non reconnues et s’accumulant progressivement.

 

Ainsi, à chaque type de conséquences cliniques d’une irradiation, on peut associer une définition claire en relation avec la réponse biologique aux radiations. Mais une telle vision révèle des faits importants :

  • d’une part, on s’aperçoit que certains organes ou tissus montrent des risques spécifiques pour au moins l’une des 3 notions prédéfinies. Par exemple, le cristallin est plutôt associé au vieillissement accéléré avec les cataractes (pas de cancer du cristallin ?) alors que la rétine est plutôt associée au cancer (rétinoblastome, pas de vieillissement de la rétine ?). De même, alors que le cancer du muscle cardiaque est extrêmement rare, on peut observer des phénomènes de vieillissement du système cardio-vasculaire. Par contre, pour la peau, on peut à la fois observer du vieillissement et des cancers (ex : mélanomes).
  • d’autre part, au niveau des individus, il semble que radiodégénérescence et radiosusceptibilité s’excluent mutuellement pour un organe donné mais peuvent ensemble caractériser un individu. Par exemple, le syndrome de Rothmund-Thomson est caractérisé par des cataractes juvéniles mais aussi des ostéosarcomes. Et ce syndrome est associé à une radiosensibilité modérée mais significative. On peut donc parler de syndrome radiosensible associé, suivant les organes, à la radiosusceptibilité ou bien à la radiodégénérescence (2). Les exemples donnés plus haut montrent que le syndrome de Li-Fraumeni n’est pas associé à une radiosensibilité significative mais par contre est caractérisé par une très forte radiosusceptibilité. Les mutations homozygotes du gène ATM qui causent l’ataxie telangiectasique conduisent à une très forte radiosensibilité (la plus élevée chez l’homme), à une forte radiosusceptibilité (prédisposition aux lymphomes et aux leucémies) mais aussi à une radiodégénérescence (destruction des cellules de Purkinje) (2).

 

 

  1. Britel M, Bourguignon M, Foray  N. Radiosensitivity: A term with various meanings at the origin of numerous confusions. A semantic analysis. International journal of radiation biology 2018;94:503-512.
  2. Foray N, Bourguignon M, Hamada N. Individual response to ionizing radiation. Mutation Research Review 2016;770:369-386.