Cours 6 : La mort radiobiologique et les différentes types de morts cellulaires

A la fin du XIXème siècle, tous les types majeurs de morts cellulaires étaient connus, grâce aux pionniers, qui patiemment décrivirent avec force détails ce qu’ils observaient au microscope [1,2]. Ainsi, on ne parlait pas de « la » mort cellulaire mais bien « des » morts cellulaires. Avec l’usage des rayons X, s’est posée la question des spécificités de chaque type de morts et de leur contribution relative à la mort globale en fonction de la dose de radiation. Comme on le verra plus loin, il existait peu de points communs entre ces morts à l’exception d’une notion fondamentale : l’arrêt de prolifération, ou plutôt l’arrêt de la clonogénicité, c’est-à-dire la capacité à donner des cellules-filles. La mort radiobiologique d’une cellule fut donc définie par convention par la perte définitive de sa capacité de division. Ainsi, une cellule rendue stérile par l’irradiation est considérée comme morte.

 

Cette définition a des conséquences importantes :

  • on oublie souvent qu’une cellule « condamnée à mort » peut, avant sa disparition physique, continuer à métaboliser et notamment à réparer les dommages induits dans l’ADN [3]. Par exemple, après des doses 4 à 20 fois supérieures à la dose létale moyenne, les cellules sont mortes (stérilisées) mais réparent leur ADN [4]. En effet, la notion de mort est définie à l’échelle de la cellule, alors que la réparation, qui peut s’effectuer dans un tube à essai contenant, eau, sels, protéines et ADN, est une notion moléculaire (la mort « moléculaire » refléterait ici la destruction des protéines et de l’ADN).
  • cette définition convient bien à la radiothérapie anti-cancéreuse qui tente de stopper définitivement la prolifération de la tumeur, sans pour autant exiger une disparition physique immédiate. En effet, une tumeur, contrainte dans son volume pendant un certain temps, peut montrer des signes de destruction et disparaitre. A l’inverse, des cellules mortes peuvent poursuivre quelques cycles cellulaires et stopper ensuite définitivement leur croissance : c’est le cas des clones abortifs qui montrent l’aspect de petites colonies. Il a fallu définir la notion de « colonie ». Par convention, on considère qu’une colonie est le résultat d’au moins 50 cellules filles, c’est-à-dire qu’elle a été produite par au moins 5 doublements (25 = 32 ; 26 = 64) [5].

 

La définition de la mort cellulaire est à la base du test de référence de la radiobiologie : la méthode des colonies ou test clonogénique. Ce test consiste à irradier une nombre connu de cellules puis à en quantifier les colonies issues des cellules filles (en respectant la définition des colonies expliquée plus haut) [6]. Plus le nombre de colonies est grand, plus la cellule est radiorésistante. Les courbes de survie sont généralement représentées dans un graphe semi-logarithmique et illustre la relation dose (abscisse linéaire) - survie (ordonnée logarithmique).

En 1956, Puck et Marcus proposèrent d’utiliser le test in vitro des colonies pour quantifier la radiosensibilité. Les premiers tests clonogéniques in vivo furent proposés par H.B. Hewitt et C.W. Wilson [7]. Comme on le verra dans les prochains chapitres, chaque lignée cellulaire est caractérisée par une seule réponse propre ou radiosensibilité intrinsèque [8].

La méthode des colonies, bien que contraignante, chronophage, et nécessitant un savoir-faire en culture cellulaire, est restée à ce jour la méthode de référence de mesure de la radiosensibilité cellulaire. Pourtant, l’inconvénient d’attendre 7 à 17 jours que les colonies se forment a incité certains scientifiques à développer d’autres tests : les tests d’exclusion, de non-exclusion ou tests dits de viabilité cellulaire. Certaines drogues, comme le MTT (bromure de 3-(4,5-dimethylthiazol-2-yl)-2,5-diphenyltetrazolium), possèdent la propriété d’incorporer le cytoplasme ou le noyau si la cellule métabolise ou ne métabolise plus au sens électrique (mitochondrial) du terme [9]. Ainsi, dans le cadre d’un test d’exclusion, si les cellules sont colorées, elles sont considérées comme « non viables donc mortes ». L’avantage de cette technique est que la coloration est immédiate. Il faut toutefois insister sur la confusion qu’il peut y avoir entre la notion de non-viabilité et celle de mort cellulaire. En effet, comme on le verra plus loin avec la sénescence, une cellule irréversiblement arrêtée en G0/G1 est considérée comme morte mais les tests de non-viabilité resteront négatifs dans ce cas : les tests de non-viabilité peuvent donc sous-estimer la mort radiobiologique.

 

La perte de capacité de division est la conséquence de plusieurs types de réponses aux radiations ionisantes. En effet, trois types de morts radioinduites définies fonctionnellement ont été répertoriés : la mort mitotique, la mort par sénescence et la mort apoptotique. On peut ajouter à cette liste un quatrième type de mort, l’intercinèse, qui décrit la disparition physique quasi-immédiate de la cellule après des doses de radiations de plusieurs milliers de Gy, doses à partir desquelles l’effet thermique des radiations devient dominant. D’autres termes de mort cellulaire (comme par exemple l’oncose ou la pyknose) ont été définis après observation au microscope et correspondent plutôt à des états particuliers des morts précédentes, notamment au niveau des tissus plutôt qu'au niveau de cellules individuelles. L’autophagie [10] ainsi que l’ontose [11] sont également citées mais la fréquence de ces types de mort pour des doses de radiations « raisonnables » semble bien inférieure aux trois types de morts précitées.

 

La mort mitotique : Le fragment chromosomique issu d’une cassure de l’ADN est soumis aux mêmes phénomènes d’aspiration que les chromosomes entiers. Cependant, si le fragment ne porte pas de centromère (il est dit acentrique), il est expulsé du noyau sous la forme d’un micronoyau (c’est l’exonucléose). Il peut rester dans le cytoplasme un certain temps, voire pendant un ou deux cycles et subir, comme le noyau principal, les condensations/décondensations de la chromatine suivant les phases du cycle. L’exocytose du micronoyau est la dernière étape de ce phénomène appelé mort mitotique. La mort mitotique est considérée comme le type de mort radioinduite le plus répandu. Le nombre de micronoyaux augmente linéairement avec la dose. Il a été corrélé à l'effet létal des radiations ionisantes [12,13] .

 

L’apoptose : L’apoptose est une mort dite programmée déclenchée par une CDB non réparée [14]. Elle se traduit par une libération d’endonucléases qui digèrent massivement l’ADN [15,16]. L’apoptose requiert généralement une protéine p53 fonctionnelle [17]. Contrairement à la mort mitotique, l’apoptose se produit le plus souvent en interphase (G1, G2) (Figure 21).

 

La sénescence : Plus récemment encore, l’arrêt irréversible en G1 a été décrit lui aussi comme une cause de mort radiobiologique [18]. L’arrêt irréversible en G1 est également associé à une CDB non réparée et dépend de p53 mais surtout de p21 [19]. A l’inverse de l’apoptose, il est abondant chez les fibroblastes témoins (en moyenne, 67% de cellules sont définitivement arrêtées avec une dose de 4 Gy) et il est compatible avec une existence prolongée de la cellule (on la compare souvent à une forme de vieillissement, la sénescence).

 

A partir des années 1990, probablement aidé par l’apparition de tests apoptotiques simples et rapides, apparut une tendance à considérer l’apoptose comme le type de mort cellulaire majoritaire (voire unique). Cet engouement atteignit son apogée dans les années 2000 où l’apoptose devint même synonyme de mort cellulaire dans certaines publications [20,21]. Rappelons d’ailleurs que l’idée généralement répandue que la moitié des tumeurs sont p53-négatives interdit que l’apoptose, essentiellement dépendante de p53 dans sa forme sa plus fréquente, soit le mode de mort majoritaire. De même, la rapidité du processus de mort apoptotique et la disparition physique de la cellule qui lui est associée n’est pas compatible avec ce que l’on observe au niveau du tissu après irradiation.

 

 

 

1.         Duque-Parra, J.E. Note on the origin and history of the term "apoptosis". Anatomical record. Part B, New anatomist 2005, 283, 2-4, doi:10.1002/ar.b.20047.

2.         Foray, N. [Claudius Regaud (1870-1940): A pioneer of radiobiology and radiotherapy]. Cancer radiotherapie : journal de la Societe francaise de radiotherapie oncologique 2012, 16, 315-321.

3.         Joubert, A.; Foray, N. [Intrinsic radiosensitivity and DNA double-strand breaks in human cells]. Cancer radiotherapie : journal de la Societe francaise de radiotherapie oncologique 2007, 11, 129-142.

4.         Foray, N.; Arlett, C.F.; Malaise, E.P. Radiation-induced DNA double-strand breaks and the radiosensitivity of human cells: a closer look. Biochimie 1997, 79, 567-575.

5.         Tubiana, M. Radiobiologie. radiothérapie et radioprotection. Bases fondamentales.; Hermann/Médecine: Paris, 2008.

6.         Puck, T.T.; Marcus, P.I. Action of x-rays on mammalian cells. J Exp Med 1956, 103, 653-666.

7.         Hewitt, H.B.; Wilson, C.W. A survival curve for mammalian cells irradiated in vivo. Nature 1959, 183, 1060-1061.

8.         Fertil, B.; Malaise, E.P. Inherent cellular radiosensitivity as a basic concept for human tumor radiotherapy. International journal of radiation oncology, biology, physics 1981, 7, 621-629.

9.         Stoddart, M.J. Cell viability assays: introduction. Methods in molecular biology 2011, 740, 1-6, doi:10.1007/978-1-61779-108-6_1.

10.       Chaurasia, M.; Bhatt, A.N.; Das, A.; Dwarakanath, B.S.; Sharma, K. Radiation-induced autophagy: mechanisms and consequences. Free radical research 2016, 50, 273-290, doi:10.3109/10715762.2015.1129534.

11.       White, E. Entosis: it's a cell-eat-cell world. Cell 2007, 131, 840-842, doi:10.1016/j.cell.2007.11.015.

12.       Fenech, M. The in vitro micronucleus technique. Mutat Res 2000, 455, 81-95.

13.       Granzotto, A.; Joubert, A.; Viau, M.; Devic, C.; Maalouf, M.; Thomas, C.; Vogin, G.; Malek, K.; Colin, C.; Balosso, J., et al. Individual response to ionising radiation : what predictive assay(s) to choose? Comptes Rendus de l'Académie des Sciences 2011, 334, 140-157.

14.       D'Amico, A.V.; McKenna, W.G. Apoptosis and a re-investigation of the biologic basis for cancer therapy. Radiotherapy and oncology : journal of the European Society for Therapeutic Radiology and Oncology 1994, 33, 3-10.

15.       Bursch, W.; Kleine, L.; Tenniswood, M. The biochemistry of cell death by apoptosis. Biochem Cell Biol 1990, 68, 1071-1074.

16.       Walker, P.R.; Kokileva, L.; LeBlanc, J.; Sikorska, M. Detection of the initial stages of DNA fragmentation in apoptosis. Biotechniques 1993, 15, 1032-1040.

17.       Lowe, S.W.; Schmitt, E.M.; Smith, S.W.; Osborne, B.A.; Jacks, T. p53 is required for radiation-induced apoptosis in mouse thymocytes. Nature 1993, 362, 847-849.

18.       Di Leonardo, A.; Linke, S.P.; Clarkin, K.; Wahl, G.M. DNA damage triggers a prolonged p53-dependent G1 arrest and long-term induction of Cip1 in normal human fibroblasts. Genes & development 1994, 8, 2540-2551.

19.       Li, C.Y.; Nagasawa, H.; Dahlberg, W.K.; Little, J.B. Diminished capacity for p53 in mediating a radiation-induced G1 arrest in established human tumor cell lines. Oncogene 1995, 11, 1885-1892.

20.       Roninson, I.B.; Broude, E.V.; Chang, B.D. If not apoptosis, then what? Treatment-induced senescence and mitotic catastrophe in tumor cells. Drug resistance updates : reviews and commentaries in antimicrobial and anticancer chemotherapy 2001, 4, 303-313.

21.       Shinomiya, N. New concepts in radiation-induced apoptosis: 'premitotic apoptosis' and 'postmitotic apoptosis'. Journal of cellular and molecular medicine 2001, 5, 240-253.