Cours 3 : Les différentes unités liées aux radiations
Avant d’aborder les aspects biochimiques et biologiques observés après irradiation, il était indispensable de se familiariser avec les différentes unités liées aux radiations. Aujourd’hui, les corps de métiers concernant les radiations ionisantes (radiothérapeutes, radiologues, radiobiologistes, radioprotectionnistes, épidémiologistes) utilisent quotidiennement plusieurs unités spécifiques dont le nombre et la subtilité des définitions rendent parfois obscure l’évaluation des risques liés aux radiations pour le grand public. Pourtant, ces unités correspondent à des besoins concrets des scientifiques et des médecins et à des étapes précises de la pensée tout au long de l’histoire de la recherche sur les radiations 1. Les unités liées aux radiations ionisantes occupent une place « à part » dans le Système International (SI) où elles apparaissent sous la dénomination de « Unités dérivées spéciales ». D’ailleurs, le Bureau International des Poids et Mesure (BIPM) a pris ses précautions depuis des décennies pour éviter toute erreur d’interprétation et bien délimiter le champ d’application de ces unités : « on appelle l'unité SI d'activité le Becquerel (Bq) plutôt que s-1, et les unités SI de dose absorbée et d'équivalent de dose, respectivement, le Gray (Gy) et le Sievert (Sv), plutôt que J.kg-1 ou m2.s-2» 2.
Le Roentgen, le Rutherford, le Curie, le Becquerel : les unités des pionniers : Sans détailler les circonstances historiques au cours desquelles ont été effectuées les découvertes des rayons X par Roentgen et de la radioactivité naturelle par Becquerel et les Curie, l’un des instruments majeurs de l’époque qui a permis de progresser dans les connaissances fondamentales des radiations est sans aucun doute l’électromètre mis au point par Pierre Curie 3. En effet, quand Pierre et Marie Curie placèrent les différents minerais d’uranium dans l’électromètre de Curie, c’est la quantité d’électricité produite dans l’air par le minerai qu’ils mesuraient 4. Une telle mesure avait son équivalent lors d’exposition aux rayons X puisque les tubes émettaient aussi une certaine quantité d’électricité dans l’air. Ces observations incitèrent Paul Villard (découvreur des rayons gamma en 1899) à utiliser des chambres d’ionisation pour affiner la dosimétrie des différents moyens d’irradiation de l’époque même si des efforts considérables étaient déployés par les scientifiques de l’époque pour mesurer la dose de radiation avec d’autres approches 5-7. En 1908, les recherches de Villard aboutirent à la définition du kerma (somme des énergies cinétiques des particules émises dans l’air par unit de masse ; kinetic energy released per unit mass). Cette même année, la Société Américaine des Rayons Roentgen définit l’unité Villard comme la quantité de radiation qui libère par ionisation une unité de charge électrostatique (esu) par cm3 d’air sous des conditions normales de température et de pression (1 esu (electrostatic unit of charge) ou encore appelé 1 Fr (Franklin) est une unité du système cgs (centimètre, gramme, seconde) aujourd’hui révolu et équivalent à 3.33564×10−10 C). Toutefois, les considérations géopolitiques de l’époque (conflit avec l’Allemagne) firent que les scientifiques allemands proposèrent un autre nom, le Roentgen (R) et une définition légèrement différente. Pendant plus de vingt ans, on allait alors parler de Roentgen allemand ou de Roentgen français avec la correspondance qui dépassait le cadre scientifique : 1 Roentgen allemand valait 2.25 Roentgen français… En 1928, la définition fut « stabilisée » mais le Roentgen était décrié pour la difficulté de sa mesure dans l’air où les paramètres d’hygrométrie, de température, de pression pouvaient fausser l’universalité des mesures. Au lieu d’une mesure du kerma, on passa à la quantité de particules émises par unité de temps : en fait, on passa de l’unité d’exposition à l’unité d’activité 2.
Dès 1910, le Congrès international de radiologie avait demandé à Marie Curie de définir un étalon basé sur le radium. Pour honorer la mémoire de son mari Pierre Curie, décédé quatre ans plus tôt, elle suggéra que cette unité devienne le Curie (Ci) : un Ci fut défini comme le nombre de particules émises par un gramme de radium en 1 seconde 8-10. L'année suivante, Marie Curie prépara ainsi une masse de 21,99 mg de chlorure de radium très pur, qu'elle déposa au Bureau international des poids et mesures (BIPM). Ce premier étalon de la radioactivité révéla alors ce que craignaient déjà certains physiciens : le nombre de particules émises par un Ci - 37 milliards - est gigantesque et n’est utile que pour l’industrie ! C’est pourquoi, en 1946, on introduisit le Rutherford (Rd) défini comme la quantité de radioactivité d’une source qui émet 1 million de désintégrations par seconde, donc équivalent à une activité de 2.703 10-5 Ci. Mais le Rd fut finalement considéré comme une unité trop petite alors que le Ci était trop grand. Le BIPM mit tout le monde d’accord en 1974 en introduisant l’unité la plus simple qui soit, même minuscule, le Becquerel (Bq) définit comme étant l’activité d’un produit radioactif qui émet une désintégration par seconde 2.
Le Gray, une unité pour les biologistes et les cliniciens : Quelques mois seulement après la découverte des rayons X et du radium, les pionniers des radiations décrivirent les premières réactions tissulaires radioinduites 11 et les premiers cancers radioinduits 12. Mieux comprendre les conséquences d’une exposition aux radiations nécessitait la définition de la dose absorbée par la matière vivante irradiée. Tant que la dose physique n’était pas encore définie clairement, cette notion restait vague. Pourtant dès les années 30, Marie Curie, Fernand Holweck et Antoine Lacassagne jetèrent les bases de la théorie de la radiobiologie quantique d’après laquelle un certain nombre de quantas d’énergie dans des zones sensibles de la cellule peuvent produire un effet létal 13-15. Intuitivement, c’est donc une quantité d’énergie par unité de masse qui pourrait traduire les effets biologiques observés après irradiation. Dans le cadre du système cgs (centimètre-gramme-seconde) qui était alors en vigueur et dont est issu le Roentgen évoqué plus haut, l’unité d’énergie était l’erg. Le système cgs imposait donc qu’une énergie absorbée par unité de masse devait s’exprimer en erg.g-1. En 1940, à travers ses études sur l’effet biologique des neutrons, l’anglais Louis Harold Gray proposa une unité de dose absorbée appelée le gram roentgen (gr) qui représente l’équivalent de l’absorption d’un Roentgen dans une unité de volume d’eau 16, 17. En 1953, la Commission Internationale des Unités de Radiation (International Committee of Radiation Units, ICRU) introduisit le rad, équivalent à 100 erg.g-1 (soit 0.01 J.kg-1dans le système SI). Toutefois le BIPM n’accepta jamais l’usage du rad qui resta une spécificité américaine. Ce n’est qu’en 1975, lors de l’introduction du système SI que le BIPM adopta le Gray (Gy) équivalent à 100 rad 2.
Le Sievert, une pluri-unité pour les juristes ? Dès les travaux de Gray, les radiobiologistes étaient convaincus que la seule donnée de la dose absorbée ne pouvait suffire à quantifier le risque radioinduit. En effet, pour une même dose absorbée, les conséquences d’une exposition pouvaient être bien différentes si les radiations étaient des rayons X ou des particules comme les protons ou si la dose était délivrée sur une partie du corps ou sur le corps entier. Dans le premier cas, on peut comprendre que pour une même dose absorbée par la cellule, certains rayonnements et particules peuvent induire des dépôts de densité d’énergie différente et être distribués spatialement de façon différente. On peut évoquer le parallèle avec la pluviométrie où, pour la même quantité d’eau, on peut avoir de la pluie fine ou subir une vraie averse. A travers des recherches qui incluaient Gray lui-même et d’autres radiobiologistes, les radiations et particules furent caractérisées par leur transfert linéique d’énergie (TEL) et associées à leur efficacité biologique relation (EBR) 18. De ces paramètres, une équivalence entre les types de radiation et de particules fut proposée avec les rayons X pour référence 19, 20. Le roentgen equivalent men (rem) fut alors défini comme toute dose de rayonnement qui produit un effet sur la santé équivalent à l’exposition de 1 rad de rayons X. Toutefois, bien qu’adopté par les autorités américaines puis par la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR) en 1955, le rem ne fut jamais adopté par le BIPM. Mais les efforts des chercheurs se poursuivirent. Une dose équivalente fut définie en multipliant la dose absorbée par un facteur de pondération spécifique au type de radiation, WR. En parallèle, une équivalence fut progressivement établie entre les tissus pour tenir compte des différences de sensibilité des organes. C’est principalement le suédois Rolf Sievert qui se consacra à cette tâche 21. Afin de ramener les risques de l’exposition au corps entier, la dose absorbée fut multipliée par un facteur de pondération spécifique à chaque organe, WT. Le calcul prenant en compte à la fois le type de radiation et le type d’organe et donnant l’équivalence d’un effet ramené aux rayons X et au corps entier aboutit à la définition de la dose efficace 20. En l’honneur de Rolf Sievert, le BIPM adopta en 1979, le Sievert à la fois comme dose équivalente et dose efficace, toutes deux de dimension SI J. kg-1 2. Aujourd’hui, le Sievert est à la base des règles de radioprotection développées sous forme de décrets ou de lois dans les différents états et de l’estimation du risque pour les expositions professionnelles et du grand public 20.
Bibliographie
[1] Vincent C: Rasdioactivité, J'écris ton nom. Le Monde 2011, 15 avril 2011.
[2] Mesures BIdPe: Le système international d'unités. 8e Edition. Sèvres, France: BIPM, 2006.
[4] Curie M: Traité de radioactivité. Paris: Gauthier-Villars, 1910.
[6] Belot J: Traité de Radiothérapie. Paris: G. Steinheil, Editeur, 1905.
[7] Villard P: Sur les rayons cathodiques. J Phys Theor Appl 1899, 8.
[9] Lacassagne A: La fondation Curie - Cinquante ans d'activité. Paris: Institut Curie, 1971.
[12] Frieben A: Cancroid des rechten Handrückens. Deutsche medicinische Wochenschrift 1902, 28:335.
[18] Steel G: Basic Clinical Radiobiology. 3rd ed: Arnold Publishers, 1993.